Louis BERTHOLOM

Louis BERTHOLOM



Fils de paysan assumé et revendiqué, comme de la grève, de la salicorne et des rouleaux de la mer ; infirmier psychiatrique auprès des passagers du soleil noir ; chanteur de rock, barde, autodidacte, Louis Bertholom s’est forgé lui-même au contact de la vie quotidienne et des éléments : Le pays m’enveloppe – au-delà de moi-même. Assis sur la rouille du lichen, Bertholom lit dans le calcaire d’un os de sèche et se prolonge dans la marche, le mouvement de la terre : J’habite un pays – salé – avec ses noyés gonflés – sans yeux. Il se tient loin de la Bretagne des antiquaires et des folkloristes. Il n’intellectualise pas, car, lui, connait réellement la beauté sournoise – des chardons bleus – que côtoient joncs et oyats.  Louis Bertholom vient de la gwerz, - du pays de la charrue qui creuse le sillon – du chant ancestral, - comme un saphir atone – où survolent les mouettes glaneuses – couinant les octaves des labours – en gobant les lombrics dans la fête du ciel. Louis Bertholom va vite, toujours vite. Il défonce, comme le vent de son Penn Ar Bed : J’ai dans les poumons – bien des tempêtes, - dans les veines – l’humus, le fruit et la fièvre, - dans les yeux – le cri strident des albatros – et la terreur des loups. Il est très prolifique. Trop, même, parfois. Certains crus mériteraient du recul et/ou de vieillir un peu plus en fût comme l’Eddu.

La poésie rassemble, nous dit Louis Bertholom « car elle est aussi une réflexion profonde qui contribue à faire évoluer les mentalités pour tendre vers un monde meilleur. Non, les poètes ne sont pas de doux rêveurs, ce sont des extra-lucides, leur parole est une patrie mondiale qu’ils osent révéler avec la seule puissance des mots. Mes voyages m’ont apporté une grande ouverture d’esprit, une meilleure appréhension de l’humanité dans son ensemble… Il est fort probable que, si je n’étais pas allé vers « l’ailleurs », mon écriture se serait peu à peu sclérosée dans une sorte de piétinement routinier. » Son Bréviaire de sel (2013), en témoigne, qui est le poème de la baie d’Audierne[1] et son grand-œuvre : Le sang de l’ombre me dilue – pour m’effacer dans l’essentiel.

Louis Bertholom est né le 24 août 1955 à Kerc’has (la maison des terres sèches, Hameau de Mousterlin, à Fouesnant, Finistère), dans la ferme de ses parents. Il est issu d’une famille de paysans, de quatre fils, installée à Fouesnant, sud Finistère, depuis le XVIIIe siècle. Son grand-père devenu aveugle à la suite d’un diabète mal soigné pendant la Seconde Guerre mondiale, son père François (Fanch), s’est retrouvé très jeune à la tête de la ferme. L’exploitation, d’une trentaine d’hectares, est grande pour l’époque. La mère, Désirée Le Dez, originaire de Beuzec-Conq, est d’une famille de métayers. Le père est passé des chevaux au tracteur dans le milieu des années 50. L’électricité est installée en 1929, mais avant 1965 il n’y a ni chauffage, ni salle de bains dans la ferme. La neige colle sous les semelles des sabots.

L’enfance est rythmée par les durs travaux de la ferme. Il faut s’occuper des vaches, des fruits, légumes, charcuteries, beurre, gros lait et des tâches inhérentes à la fabrication du cidre… car, le père est aussi et surtout cidrier. Louis Bertholom publiera plus tard un superbe récit Rivage du Cidre (2002) : « Les pluies se taisent, le vent attend, car ici, on se concentre dans l’aura de la saveur. Nul ne sait ce que l’avant-goût nous annonce. Ce n’est ni un vin, ni un soda, c’est un pays dru et pertinent qui coule et se révèle de tout son piquant comme pour mieux nous enjouer de son éclatement pétillant sur les pailles. On les garde peu en bouche, on l’intériorise. Il chante une discrète fulgurance, un éclair de couchant, une leur impatiente dans le souffle interrompu… »

La famille vit dans la proximité et l’entraide avec les marins-pêcheurs. À la ferme, les parents parlent le breton entre eux, mais ne l’apprennent pas à leurs fils, leur disant « qu’ils ont trop souffert de l’interdiction de parler le breton dans leurs jeunes années d’écoliers. » Ce sera en vain, les quatre fils apprennent le breton. Les parents sont blessés qu’on ait tenté d’éradiquer leur langue et voulu, dans leur jeunesse, « les faire passer pour des ploucs. » Louis dira plus tard : « Je suis bien fier d’être l’un de ces ploucs. » L’école ne laisse pas un souvenir impérissable à Bertholom, notamment le collège Saint-Joseph de Fouesnant : « Les frères enseignants sont « très rétrogrades, quasi tortionnaires », qui pratiquent l’humiliation et les sévices. Bertholom, dépourvu de foi chrétienne, se dit aujourd’hui agnostique. Louis Bertholom et ses trois frères font partie de la génération qui rompt avec le monde agricole. L’un sera cadre dans les télécoms, les deux autres, officier de marine marchande et prothésiste-orthopédiste. Louis, quant à lui, est orienté après la classe de troisième vers un apprentissage de préparateur en pharmacie entre 17 et 21 ans.

Louis Bertholom abandonne la pharmacie et se réoriente après son service militaire en 1975 : il passe avec réussite le concours d’infirmier psychiatrique et effectue toute sa carrière à l’hôpital Gourmelen de Quimper, en service de psychiatrie adulte, pathologie chronique ou géronto-psychiatrie. Certains patients sont violents ou sujets à des crises clastiques ponctuelles. Bertholom travaille en service de jour et effectue les vingt dernières années de sa carrière en horaires de nuit. Il rencontre une humanité souffrante, dont on peine à imaginer l’existence. Il s’agit d’une micro-société avec ses règles et ses lois internes. À chacun, cependant, sauf à ceux atteints d’arriération mentale profonde, appelés oligophrènes, pour lesquels il n’y a « rien à faire », ainsi qu’aux graves traumatisés crâniens, ceux atteints de différentes démences, séniles, Alzheimer ou alcooliques, on tente de confier un petit rôle social. Bertholom assiste à des scènes très dures : de grands malades mangent leurs excréments ou n’importe quel objet, d’autres se battent entre eux ou retournent leur violence contre-eux-mêmes et, le plus souvent, contre les soignants. Les tentatives d’abus sexuels ne sont pas rares.

Beaucoup de patients, rapportent Bertholom, sont « zombifiés » et placés sous « camisole chimique » à grand renfort de puissantes doses de médicaments neuroleptiques. Ceux-ci provoquent de forts effets secondaires, un vieillissement prématuré accompagné de tremblements, de disparations précoces. Louis Bertholom aime ce métier. Il connait la fin de la « période asilaire », progressivement remplacée par de nouveaux usages, plus respectueux de l’intégrité et de la liberté des malades. À partir des années 80, les portes toujours fermées la nuit, sont davantage ouvertes de jour. Les patients sont plus vite rendus à la vie libre, bénéficiant de soins ambulatoires et y reviennent en cas de rechutes. Louis et ses collègues savent « compenser » le côté morbide et macabre de leur métier. Mais, aujourd’hui, Louis considère que la formation d’infirmier d’État, devenue indifférenciée, manque de modules en psychiatrie, ce qui met en péril cette spécialité par une dégradation de la qualité des soins. S’y ajoute, la suppression du personnel, ce qui rend plus problématique la gestion de la violence des patients. Cela conduit les médecins à prescrire des mesures de contention en chambre d’isolement bouclée, qui pourraient être évitées.

Louis témoigne : « Lorsque j’ai débuté dans les années 70, nous n’attachions jamais nos patients sur des lits, nous étions alors suffisamment nombreux et compétents pour maîtriser au mieux les comportements « débordants ». Ces pratiques arbitraires et expéditives en psychiatrie m’ont à jamais dégoûté de mon métier et, de ce fait, j’ai décidé de prendre prématurément ma retraite. Autrefois, les médecins-directeurs connaissaient parfaitement les besoins, au plus près des services d’hospitalisations. Désormais, ce sont des personnels administratifs, ignorant totalement les réalités du « terrain », qui dirigent en n’ayant qu’une vision comptable de la gestion d’un hôpital, avec les restrictions croissantes que cela implique. Ils sont « à côté de la plaque » et rendent fragile toute l’harmonie du secteur de soins, en psychiatrie comme à l’hôpital général ; un scandale… » L’homme comme le poète Bertholom ne sont pas sortis indemnes, en 2010, à 55 ans, de l’hôpital. Un livre très fort nous le dit : les poèmes poignants de douleur et d’humanité de L’enfant des brumes (2018). Ces poèmes témoignent d’une histoire vraie, celle des réalités de l’hôpital psychiatrique, de la schizophrénie, à travers la relation, le « dialogue », entre le poète-infirmier Louis et un patient jeune adulte. Un livre, sans la moindre condescendance ni clichés, une réalité inédite, qui prend aux tripes : Il pleut dans ton crâne – quand les jours sont – des lumières d’artifice – chimères désarticulées – sous l’emphase des délires – tu n’affiches pas le masque – de la raison – ni celui de la sagesse – tu ne peux que suivre – le torrent irraisonné – de tes cascades sèches…

Entretemps, Louis a découvert avec enthousiasme l’imaginaire. Tout d’abord (ce que son enfance partage avec la mienne et celle de Paul Sanda), avec les Pockets, ces BD petits-formats (Akim, Blek le Roc, Capt’ain Swing, Zembla…), la littérature, la poésie, la chanson, le rock. Louis n’est pas devenu en vain l’ami et l’admirateur de Gilles Servat, Alan Stivell, Dan Ar Braz, Youenn Gwernig et du grand barde Glenmor, auquel il consacre un livre. Glenmor, c’est le réveil de la culture bretonne, par la musique, la poésie et le chant. Les années 70 sont des périodes de revendications, les premiers combats écologiques et de combats identitaires le plus souvent menés par le Front de libération de la Bretagne (organisation indépendantiste active de 1966 à 1981).

Pour Bertholom, ces années sont une période « d’éclosion personnelle, de foisonnements pluriculturels et surtout d’ébullitions créatives dont s’inspirent d’ailleurs les générations d’aujourd’hui. » Louis Bertholom fonde en 1975 un groupe de rock avec un groupe d’amis : Tasmant (fantôme, en breton), dont il est le parolier et le chanteur. En mai 1980, Louis et son groupe, comme toute la scène bretonne, sont du combat contre le projet d’implantation d’une centrale nucléaire à Plogoff, face à la baie des Trépassés, encadrée par la pointe du Raz et celle de Van. Il rencontre à cette occasion Jacques Higelin, venu en soutien, et Dan Ar Braz. Le combat est victorieux en mai 1981. Mais, quatre ans plus tard, en novembre 1985, l’épopée de Tasmant, groupe qui a écumé la Bretagne, ses villes et ses festivals, prend fin. Louis Bertholom se passionne pour les « radios libres » et intervient sur Radio Bro Vigouden.

Dès l’arrêt du groupe Tasmant, en 1985, Louis Bertholom se tourne entièrement vers la poésie, et avec fureur et boulimie, d’images, d’émotions et de publications, sans aucunement abandonner la scène et l’oralité, qui lui sont chevillées au corps. En 1992, il intègre le collectif Quimper est poésie, dirigé par Jacky Essirard, et se lie avec de nombreux poètes bretons, dont Marie-Josée Christien et Bruno Geneste, avec qui, il cofonde les éditions Blanc Silex, avant, en 2007, de cofonder avec Marie-Josée Christien et Bruno Geneste, les Éditions Sauvages.

À compter de 2013, Louis coanime, avec Gérard Cléry et Marie-Josée Christien, les rencontres-lectures « Rendez-vous de Max » (dans la maison familiale de Max Jacob), puis, avec les mêmes, en 2018, Cornouaille littéraire. Le poète-marin Alain Jégou (« sa parole et sa révolte vivaces me manquent, tout comme celles de Glenmor, de Youenn Gwernig et de Xavier Grall, mes proches contemporains ») lui fait lire et découvrir les écrivains et poètes de la Beat Generation étatsunienne. C’est un choc, une révélation pour Louis, qui se découvre des frères et une sensibilité commune (émancipation, irrévérence, écologie, rejet de la société capitaliste de consommation, nature, liberté…), avec, surtout, Jack Kerouac : « À leur suite et sans prétention, de manière bien moins extravagante, je me sens d’une certaine manière comme un barde-beatnik des temps modernes. »

La pensée et les écrits de l’Écossais Kenneth White trouve également une résonnance en lui et dans son œuvre : « Ils me semblent appartenir à ce monde ouvert du nomadisme de l’espace et du temps. Kenneth White, plus qu’un guide, m’a aidé à faire mien ce rapport sensuel de la terre et du langage, une fusion de l’éros et du logos qui, chez moi, en tant que fils de paysan, prend sa source dans un archaïsme primordial, encore vierge de surcharge intellectuelle, habité déjà par la pensée sauvage, base même de ma poésie. Chaque poète authentique créé son monde à partir de ses propres réalités. »

Christophe DAUPHIN (Revue Les Hommes sans Epaules).

(Notice d’après la biographie d’Alain-Gabriel Monot, Louis Bertholom, le poème comme un cri, Yoran Embanner, 2019).

 

À lire :  Poussière d’Ombres (Blanc Silex, 1995), Aval glas (éd. Boijerie, 1996), Glenmor, terre insoumise aux yeux de mer, essai, avec Bruno Geneste (Blanc Silex, 1997), Les Ronces bleue (Blanc Silex, 1998), Les Iles internes (Blanc Silex, 2000, Le Rivage du Cidre, récit (Blanc Silex, 2002), Pèlerin de l’infini (Encres vives, 2006), Infinisterres (Éditions Sauvages, 2007), Proue (Atelier de Villemorge, 2008), Amerika blues (Éditions sauvages, 2009), Le Magnifique ( Atelier de Villemorge, 2010), Bréviaire de sel (Atelier de Groutel, 2011), Les Ronces bleues, réédition augmentée (Éditions Sauvages, 2012), Mordre le monde (Éditions Sauvages, 2012), Bréviaire de sel, version augmentée (Éditions Sauvages, 2013), Paroles pour les silences à venir (Éditions Sauvages, 2015), Brest l’anxieuse (Éditions LTD, 2015), Avec les orties du temps (Éditions Sauvages, 2016), Nous te souvenons Glenmor, avec Bruno Geneste (Éditions des Montagnes Noires, 2016), Mémoire des sources vives (Éditions des Montagnes noires, 2017), Le Rivage du cidre, récit, réédition revue, corrigée et augmentée (Éditions des Montagnes Noires, 2018), L’enfant des brumes (Rafael de Surtis, 2018), Au milieu de tout (Éditions Sauvages, 2019), Blues-rock (Éditions Sémaphore, 2020), À mes amis envolés, oraisons funèbres et poèmes d’adieu (Éditions Vivre tout simplement, 2020), La lyre du silence (Éditions Sauvages, 2021).

Disques CD : Ma seule Terre (Aval avel, distrib.Sobridis Musiques, 2004), Vents solaires (CD-DVD, Aval avel,2008), Coup de cœur du Grand Prix du Disque du Télégramme, Live à l’Archipel de Fouesnant (prod. Aval Avel, 2020), Passager du rivage, récit naturaliste (Les Éditions Sauvages, 2023).


[1] La baie d’Audierne est la portion du littoral du Finistère délimitée au nord par la pointe du Raz et au sud par celle de Penmarc’h.



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Poètes bretons pour une baie tellurique n° 57